Comprendre les vulnérabilités face à l’addiction : une réalité multifactorielle en France

03/08/2025

Les bases biologiques : prédispositions et terrain génétique

La recherche scientifique montre, depuis plusieurs décennies, que la vulnérabilité à l’addiction repose en partie sur des composantes biologiques. Une étude menée par l’INSERM estime que près de 40 à 60 % du risque de développer une addiction serait attribuable à des facteurs génétiques (INSERM).

  • Variabilité génétique : Certains gènes influencent la façon dont une personne métabolise l’alcool, ou la rapidité avec laquelle le cerveau ressent la satisfaction liée à une substance. Un exemple bien documenté est la présence ou l’absence de certaines formes du gène ALDH2, qui module la sensibilité à l’alcool.
  • Sensibilité du système de récompense : Les différences dans la dopamine – le neurotransmetteur associé au plaisir – modifient la capacité à ressentir du plaisir ou à éprouver du stress. Un système dopaminergique naturellement "moins réactif" peut pousser certaines personnes à rechercher plus intensément des sensations gratifiantes, notamment via des substances addictives.

Ces prédipositions biologiques ne sont jamais entièrement déterminantes : elles créent un terrain favorable, mais l’addiction n’est ni inévitable ni uniquement inscrite dans les gènes.

Le rôle déterminant de l’environnement familial et social

L’influence de la famille, de la culture et du tissu social façonne fortement la trajectoire de l’individu face aux substances addictives. Plusieurs études (OFDT, Santé Publique France) ont mis en évidence l’impact des facteurs sociaux sur le risque d’addiction.

  • Antécédents familiaux : Grandir dans un environnement où les consommations problématiques d’alcool, de tabac ou d’autres drogues sont banalisées augmente sensiblement le risque de reproduction des comportements addictifs (Santé Publique France).
  • Pressions et normes sociales : En France, la culture de l’apéritif, mais aussi des repas conviviaux "arrosés", fait que l’alcool occupe une place centrale dans les interactions sociales. Cette normalisation peut rendre compliqué le repérage des conduites à risque, tout en renforçant le sentiment d’exclusion chez ceux qui essaient de s’en affranchir.
  • Facteurs sociaux-économiques : Précarité, chômage ou difficultés scolaires augmentent fortement le risque d’addictions : à la fois comme moyen de faire face au stress, mais aussi parce que les ressources pour accéder à la prévention et aux soins manquent souvent dans les milieux défavorisés. En 2021, les enquêtes de l’OFDT montraient que les jeunes issus de milieux défavorisés sont deux fois plus nombreux à déclarer un usage régulier de cannabis que ceux issus de milieux plus aisés.

Facteurs psychologiques : fragilités et personnalités à risque

L’histoire personnelle et les vulnérabilités psychiques comptent pour beaucoup dans le passage de l’usage occasionnel à la dépendance. Les études menées en France (notamment par le Dr Amine Benyamina, addictologue à l’hôpital Paul-Brousse) recensent plusieurs facteurs individuels :

  • Traumatismes et troubles psychiatriques : La plupart des patients souffrant d’addictions présentent des antécédents de stress majeur, de traumatisme ou de pathologies psychiatriques associées (dépression, anxiété, trouble bipolaire…). Selon l’OFDT, près de 60 % des personnes en situation d’addiction présentent un trouble psychique associé.
  • Compétences émotionnelles fragiles : Difficulté à exprimer ou gérer ses émotions, faible estime de soi, impulsivité ou grande sensibilité au stress font partie des facteurs connus de vulnérabilité. Ces traits ne provoquent pas à eux seuls l’addiction, mais augmentent la probabilité de développer un usage problématique en réponse aux tensions de la vie quotidienne.
  • Recherche de sensations ou d’expériences intenses : Certaines personnalités, dites "recherchant les sensations", sont plus enclines à adopter des comportements à risque, y compris la consommation de substances, pour retrouver intensité et excitation. Cette recherche peut être exacerbée à l’adolescence sous l’effet des transformations neurobiologiques.

Spécificités françaises : une culture ambiguë face aux addictions

La France possède une histoire et une relation aux produits psychoactifs qui lui est propre. Culturellement, le vin est un symbole de convivialité, d’art de vivre, au point que les discours sanitaires s’opposent souvent à des traditions bien ancrées. Cela se traduit de plusieurs façons :

  • Accessibilité et promotion des produits : Malgré les campagnes de prévention, la France reste l’un des pays où l’on trouve le plus facilement de l’alcool : plus de 500 000 points de vente sont recensés sur le territoire (INSEE, 2021). L’alcool est même parfois proposé dans des lieux inattendus, comme certaines stations-service ou boulangeries.
  • Jeunes et premières expériences : Les études du Baromètre Santé (2022) indiquent que l’âge moyen de la première intoxication alcoolique (soûlerie) est de 15,2 ans en France. La banalisation de l’initiation précoce — parfois encadrée par la famille, parfois vécue en dehors d’elle — expose clairement à une augmentation du risque d’addiction ultérieure.
  • Médicalisation et stigmatisation : Si les traitements et la prise en charge progressent, une part du problème reste liée au regard social sur les addictions : elles sont encore trop souvent perçues en France comme des "faiblesses morales" plus que comme des maladies, ce qui retarde la demande d’aide et d’accompagnement.

L’influence des étapes de vie et des moments de transition

Ce n’est pas seulement la "nature" d’un individu ou son environnement immédiat qui pèsent, mais aussi les moments de rupture, de fragilité ou d’incertitude. Des professionnels de terrain, interrogés par Le Monde ou France Inter, rappellent que :

  • Adolescence : Période de bouleversement physiologique et social, elle cumule risque d’influence des pairs, recherche d’émancipation, vulnérabilité émotionnelle… et accès relativement facile aux substances.
  • Vie adulte : Divorce, deuil, perte d’emploi sont autant de facteurs de stress aigu pouvant entraîner des passages à l’acte addictifs, parfois de façon transitoire mais aussi dans la durée.
  • Vieillissement : La consommation excessive d’alcool chez les plus de 65 ans en France est souvent masquée, alors qu’on estime que 13 % des hommes de cette tranche d’âge dépassent les seuils de consommation à risque (source : Agence nationale de santé publique, 2018).

Digitalisation, nouvelles addictions et évolution des usages

Le modèle classique de l’addiction à des substances (alcool, tabac, cannabis, etc.) s’est complexifié. On parle désormais d’addictions comportementales — jeux d’argent, jeux vidéo, réseaux sociaux — qui touchent un public de plus en plus jeune.

  • Jeux vidéo et réseaux sociaux : En 2023, selon Santé Publique France, 74 % des 11-14 ans utilisent TikTok ou Snapchat, et plus d’1 adolescent sur 5 déclare y passer plus de trois heures par jour, avec des conséquences parfois préoccupantes sur la détresse psychique et la vulnérabilité addictive.
  • Jeux d’argent et de hasard : La France est l’un des pays européens où la part de joueurs réguliers chez les 18-25 ans a le plus augmenté depuis 2015 (+40 %). Cette population combine souvent fragilités économiques et impulsivité.

Les dispositifs de prévention et de soin doivent donc s’adapter continuellement à l’évolution de ces pratiques, tout en gardant à l’esprit que l’enjeu reste le même : protéger les plus vulnérables.

Facteurs de résilience et leviers d’action

Face à ces constats, la capacité à résister à l’addiction dépend aussi de facteurs dits « de protection », internes et externes. Repérer et encourager ces facteurs fait partie des recommandations principales de l’OMS et de Santé Publique France.

  • Réseau social soutenant : Des liens affectifs stables, des personnes-ressources, la présence d’adultes significatifs (enseignants, entraîneurs, éducateurs…) sont des freins majeurs au développement d’addictions.
  • Acquisition de compétences psychosociales : Des programmes de prévention visant à développer la gestion du stress, l’affirmation de soi ou la résolution de problème ont prouvé leur efficacité pour réduire les conduites à risque, notamment chez les jeunes (source : Évaluation du Plan national de santé publique, 2018).
  • Accès aux soins et déstigmatisation : Le recours à des professionnels, la présence de structures d’écoute et de conseil non jugeantes favorisent la demande d’aide précoce, essentielle pour limiter l’installation des addictions à long terme.

Changer de regard et adapter la prévention

Les inégalités face à l’addiction ne sont pas une fatalité. Ce qui fait la différence, ce sont d’abord les ressources qui existent autour de chacun : écoute, compréhension, accès à l’information et possibilités d’agir sur son environnement. Si la France demeure l’un des pays européens les plus affectés par l’alcoolisme, elle possède aussi un tissu associatif et sanitaire à la pointe, capable d’innover pour prendre en compte la diversité des situations et accompagner chacun sur le chemin de la sobriété ou du mieux-être.

Réduire les inégalités de santé face aux addictions, c’est à la fois une question d’individus, de familles, de communautés, mais aussi de choix de société. Soutenir les plus vulnérables, c’est investir dans une société plus inclusive, où la prévention n’est pas un luxe mais un droit pour tous.

Sources utilisées pour cet article :

  • Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT)
  • Santé Publique France
  • INSERM – Dossier Addictions
  • Baromètre Santé 2022 (Santé Publique France)
  • Le Monde, France Inter, Agence nationale de santé publique

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