Addictions comportementales et addictions à une substance : comprendre les enjeux spécifiques de la prévention

20/09/2025

Définir précisément les deux grands types d’addiction

Addiction à une substance : une relation complexe avec un produit

Les addictions à une substance impliquent la consommation répétée d’un produit psychoactif, avec l’installation d’une dépendance, tant physique que psychique. Les principaux produits concernés sont l’alcool, le tabac, les drogues illicites (cannabis, cocaïne, héroïne…), mais aussi certains médicaments (anxiolytiques, opioïdes).

  • Dépendance physique : Le corps s’habitue à la substance, et son absence provoque un manque, parfois très prononcé (tremblements, sueurs, douleurs, etc.).
  • Dépendance psychique : Le besoin ressenti est intense même sans manifestation physique, la substance semblant indispensable au bien-être ou au fonctionnement quotidien.

Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), 5 millions de personnes en France connaissent une consommation excessive d’alcool, et près de 13 millions sont fumeuses de tabac (OFDT, Rapport 2023).

Addiction comportementale : quand l’objet n’est pas un produit

Les addictions comportementales concernent des activités sans consommation de substance. Les plus reconnues cliniquement sont les jeux d’argent et de hasard (loto, paris sportifs…), mais d’autres comportements posent aussi de réels enjeux : jeux vidéo, achats compulsifs, utilisation problématique des écrans et des réseaux sociaux, hypersexualité, etc.

  • Mécanisme du « renforcement » : Ce type d’addiction s’appuie souvent sur la recherche de récompenses immédiates (plaisir, excitation, soulagement du stress), générant un cercle vicieux.
  • Absence de substance exogène : L’addiction s’ancre dans le fonctionnement du cerveau et le comportement, via notamment le circuit de la récompense (dopamine).

Pour exemple, 1,4 million de Français seraient à risque de jeu excessif, et environ 11 % des adolescents présentent une utilisation problématique des jeux vidéo (Baromètre Santé Publique France, 2022).

Des conséquences communes, mais des mécanismes et signaux différents

Si les retentissements familiaux, professionnels ou financiers sont comparables, des distinctions s’imposent entre les deux types d’addiction.

Conséquences physiques, psychiques et sociales

  • Addictions à substances : Altérations organiques (maladies du foie, cancers, troubles cardiovasculaires…), sevrage physique, risques d’overdose, etc.
  • Addictions comportementales : Troubles du sommeil, anxiété, dépression, isolement social, troubles du contrôle des impulsions. Les conséquences somatiques sont secondaires, issues des impacts indirects (malnutrition, sédentarité, etc.).

Signaux d’alerte spécifiques

  • Pour les substances : Tolérance accrue (besoin d’augmenter les doses), symptômes de manque, abandon des loisirs ou relations en faveur de la consommation.
  • Pour les comportements : Perte de contrôle sur la pratique, temps excessif consacré à l’activité, poursuite malgré les conséquences négatives, sentiment d’irritabilité ou d’angoisse en cas d’interruption.

La dimension cachée ou banalisée de certaines addictions comportementales les rend plus difficiles à repérer, notamment chez les jeunes ou autour des nouvelles formes (ex : achats en ligne, cyberdépendance).

Prévenir ou faire face : les spécificités de la prévention selon le type d’addiction

Prévention des addictions à une substance : des actions bien structurées

Depuis plusieurs décennies, la France a développé des stratégies ciblées sur la prévention des addictions à une substance : campagnes d’information, législation (âge légal, taxation, interdiction de publicité notamment pour le tabac et l’alcool), accompagnement des publics vulnérables.

  • Prévention primaire : Éducation aux risques dès le plus jeune âge, limitation de la disponibilité des substances (dispositifs de contrôle à l’achat, barrières physiques ou tarifaires).
  • Prévention secondaire : Dépistage précoce dans les écoles, collèges, entreprises (autoquestionnaires, repérage par les professionnels de santé).
  • Prévention tertiaire : Prise en charge médicale (médecins addictologues, CSAPA), relais sociaux, dispositifs de réduction des risques (salles de consommation à moindre risque, programmes de substitution, etc.).

Par ailleurs, la prescription de traitements de substitution pour l’alcoolisme (ex : naltrexone) ou la dépendance aux opiacés (méthadone, buprénorphine) constitue une avancée majeure pour limiter les complications et accompagner la sortie de la dépendance (Inserm, 2021).

Prévention des addictions comportementales : des défis émergents

Les addictions comportementales trouvent une visibilité croissante, mais leur prévention en France reste moins encadrée et plus récente que celle des substances.

  • Repérage encore complexe : L’absence de produit rend la détection plus difficile, d’autant que certains comportements sont valorisés socialement (usage intensif des écrans dans le contexte scolaire ou professionnel, par exemple).
  • Lacunes législatives : Si la régulation s’applique aux jeux d’argent (interdiction de jeu aux mineurs, contrôle de la publicité - ANJ), elle reste faible pour d’autres pratiques (usage problématique des écrans, e-shopping, etc.).
  • Prévention primaire : Ateliers d’éducation aux usages numériques, réflexion critique sur la publicité, promotion de l’équilibre entre différentes activités chez l’enfant et l’adolescent.
  • Prise en charge : Majoritairement psychothérapeutique (thérapies cognitivo-comportementales), avec une importance particulière donnée au travail sur l’impulsivité et la gestion des émotions.

Des dispositifs innovants se développent, tels que le « gaming disorder » (trouble du jeu vidéo), reconnu par l’OMS depuis 2018, ce qui permet d’améliorer la prévention et l’accompagnement des publics concernés.

Comprendre les facteurs de vulnérabilité et d’exposition : quelles différences majeures ?

Les facteurs qui favorisent l’entrée dans l’addiction diffèrent et doivent orienter les stratégies de prévention adaptées.

Facteurs individuels

  • Addictions à substances : Vulnérabilité génétique, troubles psychiatriques, environnement familial exposé (ex : parents consommateurs), précarité socio-économique, accès facile au produit.
  • Addictions comportementales : Trouble du contrôle des impulsions, isolement, faible estime de soi, exposition précoce aux écrans ou jeux, antécédents d’événements de vie difficiles (violence, harcèlement).

Facteurs sociaux et environnementaux

  • Pour les substances : Normes culturelles valorisant les usages d’alcool ou de tabac, pression du groupe, publicité et stratégie marketing agressives (ex : alcool lors d'événements sportifs).
  • Pour les comportements : Hyper accessibilité du numérique, gamification des plateformes (récompenses, microtransactions), solitude sociale accentuée par des environnements urbains ou post-pandémiques.

Des enquêtes montrent par exemple que le passage au jeu pathologique est plus fréquent chez les personnes exposées précocement à la pratique, notamment via les applications de jeux en ligne gratuites (source : ANJ, 2023).

L’accompagnement et la parole : quelles méthodes spécifiques ?

Pour les addictions à une substance

  • Repérage par des questionnaires validés (AUDIT, Fagerström…)
  • Mise en place d’un suivi médical et social pour prévenir les complications physiques.
  • Utilisation possible de traitements pharmacologiques pour limiter le manque ou éviter la rechute.
  • Travail de réduction des risques (ex : conseils sur la diminution progressive de la consommation, recours à des kits d’injection propre, etc.).

Pour les addictions comportementales

  • Entretien motivationnel et techniques de gestion des envies irrépressibles.
  • Groupes de parole et travail sur les émotions, particulièrement efficace chez les adolescents.
  • Mise en place de « contrats comportementaux » ou de systèmes de récompense pour favoriser la réinsertion et la remise en mouvement.
  • Coopération interdisciplinaire (psychologues, éducateurs, assistantes sociales).

La parole reste l’un des outils de prévention majeurs : oser en parler le plus tôt possible, dans un cadre sécurisant, reste le levier clé pour limiter l’installation d’un processus addictif, quel qu’il soit. Les témoignages de pairs ou la médiation par des groupes d’entraide (AA, Joueurs Info Service, etc.) complètent efficacement l’action des professionnels.

Évolutions récentes et enjeux à venir dans la prévention des addictions

La frontière entre addictions à une substance et comportements problématiques tend à s’estomper, en particulier avec l’omniprésence du numérique. De nombreux jeunes mêlent consommation de produits (alcool, cannabis, médicaments détournés) avec des pratiques à risque en ligne (gaming « sous influence », achats en ligne compulsifs via smartphone…). Ce phénomène oblige à considérer la prévention sous un angle global, intégrant la santé mentale, le bien-être numérique et les pressions sociales.

  • Évolution de la législation pour mieux encadrer la publicité ciblant les mineurs, qu’il s’agisse de jeux d’argent ou de certains réseaux sociaux.
  • Développement des interventions de broacast, c’est-à-dire des actions simultanées école-famille-réseaux sociaux, qui visent à créer des messages cohérents sur l’ensemble des canaux fréquentés par les jeunes.
  • Reconnaissance croissante du besoin de former les professionnels de santé à la détection des addictions « non-substantielles ».

L’un des nouveaux enjeux essentiels consiste à adapter les outils pour permettre aux personnes concernées d’autoévaluer leurs pratiques, avec des dispositifs accessibles en ligne mais validés scientifiquement (par exemple, la plateforme Evaluadd– Addict’Aide).

Pour aller plus loin : repenser l’action préventive à la lumière des spécificités

La prévention des addictions nécessite de sortir d’une opposition simpliste entre « substance » et « comportement ». Chacune présente ses mécanismes propres, ses signes précurseurs et ses modalités de prise en charge spécifiques. Les connaissances scientifiques, en évolution constante, rappellent que l’efficacité de la prévention repose sur une approche globale, articulée autour de la parole, du dépistage, et de l’ajustement des réponses à la diversité des parcours.

Pour s’informer, demander de l’aide ou s’entraîner à repérer les risques, plusieurs services sont à disposition :

  • Addict’Aide (www.addictaide.fr) : plateforme d’information et d’autoévaluation en ligne.
  • Joueurs Info Service (www.joueurs-info-service.fr) : écoute et accompagnement sur les jeux d’argent.
  • Fil Santé Jeunes (www.filsantejeunes.com) : information, chat et ligne d’écoute pour les jeunes.

La vigilance collective et l’engagement précoce dans la prévention, tant au niveau individuel que sociétal, restent les clefs pour limiter l’émergence et l’aggravation des addictions, qu’elles concernent une substance ou un comportement – car derrière chaque parcours, il y a une histoire, et de multiples chemins d’accompagnement et d’espoir.

Sources principales : OFDT (Rapport 2023), Santé Publique France (Baromètre 2022), Agence nationale des jeux (ANJ, Enquêtes 2023), INSERM (Synthèses 2021), OMS.

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