Comprendre : Addiction à une substance VS addiction comportementale, les différences dans le cerveau

18/10/2025

Définir les deux grands types d’addiction

Avant d’explorer les différences cérébrales, quelques précisions s’imposent :

  • Addictions à une substance : impliquent l’absorption d’un produit externe, comme l’alcool, la nicotine, le cannabis, la cocaïne, ou les médicaments détournés de leur usage.
  • Addictions comportementales : concernent des conduites qui procurent du plaisir ou soulagent une tension (jeu d’argent, jeux vidéo, usage problématique d’Internet…). Il n’y a pas de molécule exogène en jeu, le produit « addictif » est l’activité elle-même.

Le DSM-5 (manuel de référence internationale en psychiatrie) a d’ailleurs reconnu formellement l’addiction au jeu d’argent comme « trouble addictif » aux côtés des addictions à substance dès 2013 (source : American Psychiatric Association).

Qu’est-ce que le circuit de la récompense ?

Point de convergence central aux addictions, le circuit de la récompense repose principalement sur la voie dopaminergique mésolimbique. Ce circuit relie plusieurs régions :

  • Aire tegmentale ventrale (ATV) – départ des neurones dopaminergiques
  • Noyau accumbens – centre du plaisir et de la motivation
  • Cortex préfrontal, hippocampe, amygdale – modulent les émotions, la mémoire et le contrôle

Dopamine, également surnommée « la molécule du désir », joue un rôle crucial dans l’apprentissage, la motivation et le renforcement du comportement. La recherche (notamment Hasan & al., 2019 dans Frontiers in Psychiatry) montre que toutes les addictions, qu’elles soient à substance ou comportementales, activent ce circuit avec des motifs similaires : une libération massive de dopamine en réponse au stimulus déclencheur.

Les spécificités neurobiologiques de l’addiction à une substance

Action directe sur le cerveau

Les substances psychoactives pénètrent dans le cerveau en traversant la barrière hémato-encéphalique. Elles modifient directement la chimie cérébrale :

  • Augmentation artificielle de la dopamine dans le noyau accumbens, souvent bien supérieure à une stimulation naturelle (nourriture, relations sociales). Par exemple, la cocaïne augmente la concentration de dopamine jusqu’à 350 % (Volkow et al., 1997).
  • Altération d’autres neuromédiateurs comme le GABA, la sérotonine, ou le glutamate.
  • Effets neurotoxiques parfois irréversibles (notamment alcool ou amphétamines).

Modification structurelle et tolérance

Avec la répétition, le cerveau s’adapte : le nombre et la sensibilité des récepteurs se modifient. Ce phénomène explique la tolérance : il faut augmenter les doses pour retrouver le même effet, et le sevrage s’accompagne de troubles marqués (anxiété, dépression, douleurs physiques).

Des études sur l’alcool (Harper et Matsumoto, 2005) ont observé une atrophie des lobes frontaux chez des consommateurs réguliers, réduisant leur capacité de prise de décision et de contrôle de soi – l’une des clefs de la chronicisation du trouble addictif.

Addiction comportementale : spécificités cérébrales

Absence d’introduction de substance, mais activation du même circuit

Lors d’une addiction comportementale, on ne trouve pas de molécule extérieure. Cependant, les activités telles que le jeu pathologique ou l’usage excessif des réseaux sociaux déclenchent elles aussi une sécrétion de dopamine, mais issue des propres ressources du cerveau.

  • La stimulation dopaminergique est plus fluctuante et plus dépendante du contexte (gain inattendu, récompense aléatoire).
  • Les mécanismes d’anticipation, de frustration et de « near-miss » (presque-gagné) jouent un rôle déterminant, notamment pour les jeux de hasard.
  • Les modifications cérébrales observées sont moins sévères et moins visibles à l’imagerie que dans l’addiction à substance, mais certaines études (Clark et al., 2019) suggèrent que la densité de récepteurs dopaminergiques D2 est aussi abaissée chez les joueurs pathologiques.

Emprise sur les régions du contrôle

L’addiction comportementale cible fortement le cortex préfrontal (impulsivité, difficulté à anticiper les conséquences). La compulsion à recommencer s’explique d’autant plus par la gestion des émotions et la recherche d’échappatoire face au stress ou l’ennui : ainsi, l’approche thérapeutique va souvent cibler davantage les stratégies d’adaptation, l’estime de soi ou la gestion émotionnelle, plutôt que les symptômes physiques de sevrage.

Différences et ressemblances majeures : que dit la recherche ?

Caractéristiques Addiction à substance Addiction comportementale
Stimulation du circuit de la récompense Oui (forte, directe) Oui (modérée, indirecte)
Tolérance physiologique Souvent présente Moins marquée/absente
Symptômes de sevrage physique Oui (parfois graves) Non ou très limités
Modification structurelle du cerveau Fréquente (atrophies, pertes neuronales...) Possible, mais moins marquée
Recherche de la récompense Effet du produit + conditionnement Effet du comportement + conditionnement

Les comportements deviennent « addictifs » par apprentissage

La science montre que le temps passé, l’intensité du plaisir, la fréquence des renforcements et la vulnérabilité individuelle (prédispositions génétiques, troubles psychiques préexistants, environnement stressant…) favorisent l’entrée dans l’addiction, quelle que soit sa nature.

  • Des scans cérébraux indiquent que le noyau accumbens s’active aussi bien devant l’image d’un verre d’alcool pour une personne alcoolodépendante que devant le symbole d’un casino pour un joueur compulsif (Potenza, Yale University).
  • Selon une étude française (INSERM, 2021), près de 5 % des adolescents présentent une forme d’addiction comportementale (écrans, réseaux, jeux vidéo). Ce chiffre est en progression depuis 10 ans.

Signatures spécifiques à chaque addiction

Certains comportements ou substances seront plus susceptibles de « recâbler » le cerveau sur des zones différentes. Par exemple :

  • La dépendance à la nicotine implique les récepteurs nicotiniques, absents dans la majorité des addictions comportementales.
  • L’addiction aux écrans influence particulièrement le cortex visuel (compulsion de notification ou de scroll), tandis que les troubles alimentaires touchent l’hypothalamus.

L’imagerie cérébrale a permis d’identifier ces variations, même si le noyau dopaminergique reste l’étape obligée de toute addiction reconnue à ce jour.

Ce qui reste en débat : plasticité cérébrale et réversibilité

La réversibilité des changements cérébraux constitue l’un des principaux axes de recherche actuels :

  • Après l’arrêt d’une substance, le cerveau peut partiellement retrouver ses fonctions, mais certaines empreintes (envie persistante, réduction du plaisir naturel) perdurent chez de nombreux ex-addicts, parfois à vie (Robinson & Berridge, 2008).
  • Après arrêt du comportement addictif, l’amélioration des capacités cognitives et du contrôle émotionnel semble plus rapide et marquée, sauf en cas de polyaddictions ou de facteurs de vulnérabilité sous-jacents.

Les jeunes cerveaux apparaissent plus plastiques : l’âge d’exposition précoce augmente la gravité et la chronicité du trouble, toutes addictions confondues. C’est pourquoi la prévention, en particulier chez les moins de 25 ans, demeure une priorité (source : Haute Autorité de Santé).

Vers une vision nuancée : implications pour la prévention et la prise en charge

Même si addiction à substance et addiction comportementale partagent un terreau neurobiologique commun, leurs différences doivent guider les prises en charge :

  • L’évaluation des risques somatiques est prioritaire pour les substances (risques d’overdose, maladies chroniques), tandis que le risque psychosocial prime pour les addictions comportementales (endettement, isolement, dépression).
  • Les thérapeutiques diffèrent : la substitution ou les traitements médicamenteux ne concernent que les addictions à substance, tandis qu’approches cognitives ou comportementales sont indiquées pour les deux types de troubles.
  • La prévention doit s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité : impulsivité, gestion émotionnelle, traumas, stress, environnement familial, dès l’enfance.

Perspectives de la recherche et enjeux de société

L’essor des technologies, les bouleversements sociaux (télétravail, pandémie, multiplication des outils numériques) et l’hyperconnexion rendent floue la frontière entre usage, abus et addiction. Les neurobiologistes alertent sur le fait que certaines addictions « sans substance » pourraient à terme présenter les mêmes altérations cérébrales que les substances psychoactives, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent de dépression ou de troubles anxieux.

Enfin, la stigmatisation persistante des addictions comportementales doit évoluer. Les travaux scientifiques soulignent qu’il n’y a pas « de vraie ou de fausse addiction » : toute compulsion durable vécue comme incontrôlable mérite écoute, soutien et accompagnement. Reste à mieux intégrer ces réalités dans la société et dans les politiques de santé publique.

Pour aller plus loin, parmi les ressources fiables et accessibles :

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