Recherche en neurosciences : de la compréhension du cerveau à l’innovation dans la prévention des addictions

24/10/2025

Comment les neurosciences renouvellent la compréhension de l’addiction ?

Longtemps perçues à travers le seul prisme de la morale ou de la psychologie individuelle, les addictions sont aujourd’hui reconnues comme des pathologies cérébrales chroniques. Cette avancée est en grande partie due aux travaux de neuroscientifiques, dont plusieurs équipes françaises de pointe, comme celles de l’INSERM ou du CNRS.

  • Un trouble du circuit de la récompense : Les études de Jean-Pol Tassin (CNRS, Collège de France) ont montré que les substances addictives et certains comportements (jeux d’argent, écrans) perturbent durablement le « circuit de la récompense » du cerveau. L’addiction se caractérise par une hypersensibilité aux stimuli gratifiants et une perte de contrôle inhibiteur.
  • L’importance majeure des vulnérabilités individuelles : Les recherches de Mickaël Naassila (INSERM, Université de Picardie Jules Verne) éclairent l’implication de facteurs génétiques, épigénétiques et environnementaux. On sait aujourd’hui que l’exposition précoce à l’alcool perturbe le développement des fonctions exécutives, ce qui augmente drastiquement le risque de dépendance à l’âge adulte (Sciences et Avenir, 2021).

Les apports concrets de la neuroscience à la prévention en France

La recherche ne reste pas théorique : elle inspire la création de nouveaux outils et stratégies pour prévenir l’entrée et le développement des addictions.

1. Des programmes ciblés dès l’enfance et l’adolescence

Grâce à l’imagerie cérébrale, il est aujourd’hui prouvé que le cerveau adolescent est particulièrement vulnérable à l’alcool, au cannabis et aux écrans (Inserm, expertise collective, 2014). Les neurosciences ont ainsi permis d’ajuster les programmes de prévention pour intervenir au bon moment du développement.

  • Programme Unplugged : Déployé dans des collèges en France, ce programme s’appuie sur les connaissances neurodéveloppementales pour travailler l’estime de soi, la gestion du stress, et la prise de décision. L’évaluation menée par l’OFDT a montré une baisse significative de l’expérimentation du tabac et de l’alcool dans les classes concernées.
  • Repérage précoce : Les neurosciences ont permis de mieux identifier les signes prédictifs de passage à l’acte addictif, favorisant la formation des équipes éducatives et soignantes pour repérer en amont les jeunes à risque.

2. De nouveaux outils pour agir : la réalité virtuelle et les exercices de remédiation cognitive

La plasticité cérébrale, confirmée par les neuroscientifiques français, a ouvert la voie à des dispositifs originaux. À Bordeaux, le centre hospitalier Charles Perrens a expérimenté la réalité virtuelle pour apprendre à gérer les situations à risque de rechute chez les patients dépendants. Les premiers résultats suggèrent une amélioration de la régulation émotionnelle et de la capacité à dire non, ce qui réduit le risque de rechute.

  • Remédiation cognitive : Certains modules sont proposés à des usagers souffrant d’addiction pour soutenir les fonctions exécutives du cerveau : attention, mémoire de travail, contrôle inhibiteur.
  • Applications numériques basées sur les neurosciences : Des applications mobiles, validées par les centres hospitaliers universitaires, proposent des exercices quotidiennes inspirés des entraînements cérébraux afin de mieux gérer l’impulsivité (par exemple, AddictoScope, CHU Lille).

3. Mieux communiquer auprès des publics grâce à la vulgarisation neuroscientifique

La prévention basée sur la peur ou la culpabilisation a montré ses limites. Aujourd’hui, grâce aux apports des neurosciences, les messages de prévention peuvent s’appuyer sur une meilleure compréhension des mécanismes : cela déstigmatisse la personne et favorise l’adhésion aux outils proposés.

  • Des ateliers de sensibilisation pour les parents et enseignants : De nombreux dispositifs, comme ceux portés par l’IREPS Nouvelle-Aquitaine, forment à cette compréhension du cerveau pour améliorer l’accompagnement.

Exemples d’innovation issues de laboratoires français

Certaines découvertes françaises se distinguent à l’international par leur impact sur la prévention et le soin :

  1. La recherche sur le baclofène : Adaptée des neurosciences, l’exploration du médicament baclofène dans l’addiction à l’alcool découle en partie des travaux de l’équipe du professeur Jean-Pol Tassin sur les neurotransmetteurs. Son usage, s’il reste débattu, illustre l’apport du dialogue entre recherche fondamentale et clinique en France (INSERM).
  2. Projet IMAGEN : Cofinancé par l’Inserm et des partenaires européens, cette grande cohorte suit plus de 2000 adolescents européens avec des imageries cérébrales et des questionnaires comportementaux depuis 2007. Elle a permis d’affirmer que l’usage précoce du cannabis avant 15 ans était associé à une modification de la structure des circuits de contrôle du cortex préfrontal.
  3. NeuroMarqueurs : À l’Université de Caen Normandie, l’équipe de B. Dubois mène des recherches sur les biomarqueurs prédictifs du risque de développer un trouble addictif chez les adolescents (appareil de suivi du développement cérébral). Ces données contribuent à ajuster en continu les stratégies de prévention ciblées.

Limiter les risques : la prévention individualisée rendue possible par les neurosciences

La prévention ne peut plus être basée sur des messages universels. Grâce à la neuroscience, la France développe des stratégies de plus en plus personnalisées :

  • Repérage des facteurs de vulnérabilité personnelle et familiale : Par le biais de questionnaires, travaux sur la génétique comportementale (CHU Montpellier) et études d’imagerie, il est possible de mieux cibler les enfants/adolescents à accompagner de manière renforcée.
  • Prise en compte du stress et des émotions : Les équipes de recherche de l’INSERM Bordeaux (Pr. Pier Vincenzo Piazza) ont démontré l’impact du stress et des émotions négatives sur la baisse des capacités de régulation du cerveau. Cela a motivé l’intégration de modules de gestion des émotions dans les programmes scolaires de prévention.
  • Accompagnement sur le long terme : La neuroscience rappelle qu’il faut du temps pour restaurer certains circuits neuronaux. Cela encourage des dispositifs d’accompagnement sur la durée pour les personnes en situation d’addiction et pour la prévention des rechutes.

Des collaborations actives entre chercheurs, soignants et éducateurs

L’un des points forts observés en France est la synergie créée par les travaux transdisciplinaires. Les neuroscientifiques travaillent en étroite collaboration avec le terrain :

  • Groupes de réflexion Recherche-Action : Certaines ARS et Rectorats proposent des séminaires « neurosciences et addictions », ouvrant la formation continue à des outils validés par la recherche.
  • Guides de bonnes pratiques : L’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) mobilise des experts neuroscientifiques pour rédiger des guides à destination des professionnels de la prévention.
  • Implication des personnes concernées : Les avancées en neurosciences invitent à donner une vraie voix à l’expérience des personnes anciennement dépendantes, pour penser ensemble les mesures les plus pertinentes.

Pour une prévention à la hauteur des enjeux de demain

La place croissante des neurosciences dans la compréhension et la prévention des addictions a permis de transformer en profondeur le paysage français. En associant savoir-faire scientifique, collaboration de terrain et respect de la personne, la prévention gagne en efficacité et en humanité. Les prochaines années, avec l'avènement de la médecine prédictive, du numérique thérapeutique et de la personnalisation extrême, vont sans doute encore renforcer ce tournant engagé en France. Un défi qui invite à continuer de soutenir la recherche, l’innovation pédagogique, et le dialogue, pour mieux accompagner la diversité des parcours et prévenir au plus près du réel.

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